Léa Kant
Pause Sinaï
Il ne m'aura fallu que quelques heures pour en tomber amoureuse. Ses couleurs, son soleil et son sable, son désert, ses habitants et son histoire. Le Sinaï.
La première fois que j'ai entendu parler de cet endroit, j'étais scoute. On chantait en cœur: "Sur le mont Sinaï, le prophète Jérémie dit au peuple réuni... oh adele...". Puis je l'ai redécouvert à travers l'étude des textes sacrés. Le désert du Sinaï a une place toute particulière dans le judaïsme puisque c'est ici que Moïse aurait reçu les tables de la loi. Enfin, c'est la mer rouge, qu'il aurait réussi à ouvrir de son bâton.
En arrivant en Israël, j'ai entendu parler du Sinaï dans différents contextes. Les oncles, pères et grand-pères qui y ont fait la guerre. "Quand on était jeunes dans le Sinaï et qu'on s'ennuyait, on jetait des grenades dans l'eau, et des poissons montaient alors à la surface, puis on les faisait cuire sur la plage pour dîner", me racontait un ancien soldat.
En 1973, plusieurs pays arabes ont pris par surprise l'armée israélienne et ont attaqué le jeune pays de façon simultanée. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui la guerre du Kippour. L'armée égyptienne a forcé la ligne Bar-Lev construite le long de la frontière. Par on ne sait quel miracle, l'armée israélienne remporte cette guerre et repousse les égyptiens, qui perdent alors le Sinaï. Celui ci passe sous contrôle israélien. Durant les années qui suivent la dernière guerre de survie, un rapprochement s'opère entre Israël et l'Egypte. Il faut attendre 1979 pour voir naître le traité de paix entre les deux pays, les israéliens se retirent du Sinaï, celui repasse sous contrôle égyptien.
Depuis, la frontière du Sinaï est relativement paisible, malgré le trafic d'armes, la présence de Daesh au nord-Sinaï, et les attaques terroristes sporadiques.
"C'était une erreur, on aurait du le garder, regarde ce qu'ils en ont fait" me disent certains. J'essaie parfois d'imaginer ce que serait le Sinaï en 2019 s'il avait été israélien... il ne serait certainement pas aussi calme et serein.
Puis il y a cette mode, qui dure depuis quelques décennies mais qui s'est largement intensifiée au cours des dernières années : les israéliens vont passer leurs vacances dans le Sinaï. En couple, en famille, entre amis, seuls. Et comme je les comprends!

Nuweiba, mars 2019
Nous sommes arrivés à l'aube en Egypte. A peine la frontière passée, Hassan notre chauffeur de taxi nous attend, direction Nuweiba. Sur la route, on passe plusieurs checkpoints, et se tiennent droit comme des bâtons de jeunes soldats, semblables à nos soldats israéliens. Seulement eux, tiennent une kalash' entre les mains.
Sur plusieurs kilomètres le long de la péninsule, des plages... et un nombre incalculable de bâtiments abandonnés. Des hôtels, des piscines vides, de sublimes bâtisses orientales, un paysage assez surprenant. Puis nous passons une crique déserte, et de petits villages apparaissent. Plus que quelques kilomètres, et nous sommes déjà à Nuweiba. Il faut passer un pont, mais celui ci est dangereux, notre chauffeur le contourne en passant par un chemin de terre cossu.
Il est finalement presque sept heures du matin, et nous arrivons sur le camp. Il est désert, c'est le cas de le dire. Personne pour nous accueillir, Hassan se dirige donc vers la cuisine pour nous préparer un thé. Nous sommes avachis sur ces tapis multicolores, le soleil se lève sur l'Arabie Saoudite voisine, j'ai du mal à croire que nous y sommes. Assommés par le silence, le calme, le son de la mer sur les coquillages et autres galets.
Finalement, un jeune nous conduit vers notre petite baraque. Elle sent la mort, mais peu importe, nous déposons nos affaires et nous installons sur notre petite terrasse. "Bakshish, bakshish" nous dit-il. Ah, oui, il veut de l'argent pour le service. Qu'il en soit ainsi! L'homme s'en va et nous profitons alors du calme.
Notre séjour aussi court soit-il fut assez simple. Notre objectif : traîner de spots en spots au bord de la plage, dormir, manger, fumer, se baigner, dormir encore et discuter. Alors que nous nous endormons à un mètre de la mer, nous nous réveillons subitement entourés d'une horde d'enfants qui viennent nous vendre bijoux, sacs, porte-clés, et autres conneries. J'adore ces conneries, je dois l'avouer c'est mon pêché mignon. Pendant que Lucas lit, je cherche sur la plage de jolis cailloux pour ma collection. Je trouve alors des coquillages, des coraux, des pierres sublimes, j'exaspère presque Lucas.
Nous continuons notre découverte et nous isolons vers le camp voisin. Sur cette même plage, les camps appartiennent à quatre frères d'une même famille, tous aussi accueillants et sympathiques. Il faut dire qu'en cette période de l'année, les touristes ne font pas foule, ils ont donc tout intérêt à chouchouter leurs quelques touristes. Quelques touristes: tous israéliens d'ailleurs.
Dans le sud Sinaï, on ne parle pas anglais. On parle l'hébreu. Les bédouins parlent un hébreu courant, ils maîtrisent le slang à la perfection. Tu veux manger ? tu veux boire ? tu veux de l'alcool ? du haschisch ? une moustiquaire ? de l'aloe vera ? des bijoux ? une excursion dans les montagnes ? Bref, demande, et tu recevras. Abdallah s'occupe de tout.
Seul point noir du séjour, et c'est mon côté féministe qui resurgit: l'absence de femmes. Tous nos interlocuteurs locaux étaient des hommes, ou des enfants. Nous avons croisé deux femmes durant le séjour. Elles ne parlent pas un mot d'hébreu, moins bien encore que leurs enfants. Il faut dire qu'en Egypte - hélas - la situation des femmes est catastrophique. Plus de 99% des femmes déclarent avoir été victimes d'agression sexuelle, de harcèlement. Les droits des femmes y sont largement bafoués, la femme est juste un objet. Le Caire est par exemple considérée comme LA ville la plus dangereuse au monde pour les femmes. Je n'ai ressenti aucune forme de violence dans le Sinaï, mais le Sinaï est une bulle, notamment ses plages où tout est mis en oeuvre pour que le ou la touriste s'y sente bien.
Pourquoi est-ce que je raconte ici mon séjour? Pour tenter de persuader ceux qui n'en sont pas sûrs, que le Sinaï n'est pas (aussi) dangereux (qu'on nous laisse le croire).
La région sud du Sinaï est relativement préservée. Voyager dans la péninsule c'est être au contact des tribus bédouines qui la font vivre depuis des générations. Voyager dans le Sinaï c'est y découvrir ses montagnes, ses trésors historiques et archéologique, la Mer Rouge, le désert, ses plages paradisiaques, ses couchers de soleil, ses odeurs et ses épices, ses traditions, ses rites et sa culture. C'est faire vivre des populations locales contre les grands titres racoleurs de médias qui ont vidé le Sinaï.
Le sud-Sinaï est un lieu paradisiaque, calme, apaisant et dépaysant. Pour ma part, mon prochain séjour se dirigera certainement vers Sainte Catherine.