Léa Kant
Ne vous déplaise, ani medaberet ivrit.
Encore un paradoxe de cette société colorée.
C'est un petit pays qui a vu défiler des vagues d'immigration des plus variées: la loi du retour a permis (et permet) aux Juifs venus d'Iran, Yémen, France, Russie, Ukraine, Italie, Argentine, Maroc, Algérie, Espagne, Inde… bref du monde entier - d'immigrer légalement en Israël. Des personnes qui ont importé leurs langues, leur patrimoine culturel, leurs codes.
Autant dire que l'hébreu a évolué et puisé dans la richesse de ces cultures.
Ici, l'assimilation est de rigueur. L'olé hadash, nouvel immigrant, reçoit des cours d’hébreu pendant six mois, financés par l'Etat. L'Ulpan est un modèle d'apprentissage linguistique franchement exemplaire. Mais hélas, l'accent ne s'apprend pas. Il s'apprivoise...
Après tout, je parle couramment l'hébreu: mon lexique est riche, ma grammaire correcte, assez pour travailler dans la structure d'informations la plus influente et importante du pays. Il faut donc croire que l'on me comprend.
Et pourtant. Il existe en Israël une forme réelle de discrimination par le langage, c'est ce que le professeur Philippe Blanchet a nommé "la glottophobie".
Discrimination quotidienne et surprenante, c'était la dernière chose à laquelle je m'attendais en débarquant au cœur de la société israélienne. L'ola que je suis - qui tente sans relâche de s’intégrer, d'assimiler ces codes et mœurs parfois si différents des siens - est déçue du comportement de certains de mes nouveaux compatriotes.
On aime souvent reprendre mes phrases pour les répéter avec un accent ridicule. Objectif: mettre en exergue ô combien je suis "mignonne", ou plus simplement rire de cet Autre exotique.
Le problème est que l'on porte moins d'attention au contenu de mes propos qu'à la forme. Peu importe ce qui sortira de ma bouche, je semble - aux yeux de certains - être plus bête car j'ai un accent. Ce même accent qui me rend touchante aux yeux d'autres.. qui seront donc plus propices à m'aider ou rendre service.
Parfois, on reprend mes mots pour me rabaisser. On me coupe la parole pour souligner un accent tonique mal placé. Le plus souvent, on me reprend pour me rappeler ma double identité. Car c'est ce qui me semble finalement être la chose la moins acceptée. J'ai deux passeports, deux cultures. Il est important pour eux de constamment me ramener à ma schizophrénie identitaire, me rappeler que je ne suis pas vraiment israélienne.
Contre vents et tempêtes
crédit photos 1 et 2 - Gilad Sade, Arad, 2018.
Il faut également souligner que la nationalité française n'est pas la plus "à la mode" en 2018. La dernière vague d'immigration en Israël est souvent celle discriminée, quand il y a 20 ans on riait des russes, c'est aujourd'hui au tour des francophones, dans quelques années cette mode passera.
Néanmoins, je dois dire que cette pauvre considération m'est parfois utile. Particulièrement dans le cadre du travail: quand certains peinent à voir mon potentiel car obnubilés par mon accent, d'autres ont compris que cet accent pouvait jouer en ma faveur dans de nombreux cas. Car c'est bien cet accent qui me définit, et qui est un indice de mon background culturel. J'ai accès à un réseau qu'ils méconnaissent mais les fascinent. J'ai importé mon système de valeurs et de pensée français, républicain, européen et laïque. J'ai apporté de France mon bagage universel, mon cursus universitaire et académique franco-français.
Je dois l'admettre: il y a aussi certains (une minorité) de mes compatriotes qui sont admiratifs et respectueux de mon parcours. Qui savent - en conséquence - tirer de moi le meilleur, qui ont saisit combien l'immigration (française) peut apporter au pays. Il y a ceux qui m'estiment à ma juste valeur: celle d'une femme qui a eu le courage d'apprendre l’hébreu, pour communiquer dans la langue de mes interlocuteurs. Qui assimile chaque jour des éléments culturels, sociaux, sociétaux, historiques pour n'avoir aucune faille, pour que l'on ne me reproche rien.
En somme, ils pourront rire longtemps: c'est bien cette double identité qui fait ma force, mes capacités d'adaptation qui m'ont portée jusqu'ici. Je suis israélienne et française à part égale.