Léa Kant
Mes pensées sur le film "Synonymes" de N. Lapid
** attention spoiler **
Vendu comme le film qui allait enrager Miri Regev - car plus vendeur - je mets au défi la Ministre de voir ce film, et je ne vois aucune raison qu'elle soit choquée.
Synonymes, c'est le film de Nadav Lapid qui a remporté cette année l'Ours d'Or au festival du film de Berlin.
Synonymes, c'est avant tout une réflexion fantastique sur l'identité, la langue, la nationalité, la culture... Personnellement j'ai ri, du début à la fin. J'ai trouvé ce film infiniment drôle, cynique et absurde. Les traits grossièrement tirés de ce personnage israélien pittoresque, de ses deux compagnons bourgeois parisiens, ou encore de ses collègues israéliens de l'ambassade... bref, le réalisateur tire le portrait caricatural de personnages haut-en-couleurs, souvent pathétiques mais la plupart du temps tragi-comiques.

photo: PR
Yoav est arrivé en France dans une logique de fuite: fuite de son pays, de la folie d'Israël. Mais Yoav est fou, très probablement post-trauma; ce que notre jeune parisienne ne manque pas de lui rappeler à la fin du film. Son attitude nonchalante, son regard lugubre, creux, vide, ce français agaçant qu'il parle avec tant d'assurance, et ce corps d'athlète enveloppé d'un cardigan moutarde... Le parfait dandy parisien condescendant... Pourtant, il est le cliché de l'Israélien. Yoav est un personnage immature, énervant mais attachant. Yoav est constamment en colère, Yoav se cherche, tente de se construire une identité nouvelle en rejet total de ce qu'il est, loin d'Israël, et pourtant tout le ramène à son pays: dans ses relations, ses petits boulots. Il ne parvient pas à échapper à sa condition d'israélien.
Puis il y a Emile, ce jeune bourgeois de la haute société parisienne qui vit de la fortune de ses parents et écrit sur sa vie ennuyeuse au possible. Il cherche des histoires à raconter, mais ne peut s'inspirer de sa propre vie où tout a toujours été livré sur un plateau d'argent. C'est alors qu'il trouve en Yoav une muse, d'une certaine façon, il l'adopte. Yoav lui offre ses histoires (qu'il reprend d'ailleurs, à la fin car il souhaite se réapproprier son identité), et Emile va jusqu'à lui offrir sa femme. La relation entre ces deux personnages est intéressante mais malsaine: c'est finalement l'ennui de deux jeunes venus d'ailleurs, mais d'une même génération, traversés par des mêmes problématiques identitaires, qui s'ennuient de leurs propres vies et cherchent l'action. Chacun voudrait la vie de l'autre, éternels insatisfaits, les deux personnages sont pitoyables.
Caroline est l'autre personnage clé de cette aventure. C'est elle qui a trouvé le corps froid de Yoav dans une baignoire parisienne, nu. C'est elle dès qu'elle l'a vu qui a su qu'ils coucheraient ensemble. Caroline joue du haut-bois, elle est belle et intelligente. Mais forcément tombe sous le charme de cette caricature de l'israélien traversés par des démons, qui le rendent si sombre et mystérieux sous ses muscles bien dessinés. Mais il en faut peu à Caroline pour comprendre que Yoav n'est pas exceptionnel.
Autre personnage qui m'a beaucoup amusée, c'est cet autre israélien, caricatural qui lui est en France pour lutter contre l'antisémitisme, l'antisionisme, et qui rejoint les brigades du Beitar à Paris. Celui la même qui chante la Hatikva dans le métro, et porte la kippa gaiement alors qu'il sort avec ses amis pour danser. Il est le stéréotype de l'israélien qui a besoin de réaffirmer son identité en contradiction avec une France des années 2000 rongée par des haines latentes, discriminations et rejet de l'autre. Et c'est finalement un des seuls amis de Yoav en dehors du couple avec lequel il forme un triangle amoureux dés-illusoire.
Yoav enchaîne les expériences, et Lapid met en avant des scènes absurdes comme celle chez un photographe, où notre anti-héros s'enfonce un doigt dans l'anus en criant "bite! bite! bite!" en hébreu. Je l'avoue, c'est la seule scène qui m'a laissée perplexe.
Pourquoi ai-je ri tout au long du film? Car je me suis retrouvée sur beaucoup d'angles, et plutôt en miroir. Moi, je suis la française qui a quitté son pays pour renaître en Israël. Au début, de la même façon que ce personnage, j'ai tenté de rejeter mon identité française, de l'oublier, de la faire oublier. Mes efforts ont été vains, constamment mon environnement venait me rappeler celle que j'étais, j'ai du apprendre à vivre en paix, mais surtout à équilibrer mes deux identités. Avec du recul, j'ai réalisé que j'en devenais grotesque, schizophrène, et simplement caricaturale. Je pense que c'est finalement un peu le message du réalisateur, Nadav Lapid, étant lui même un expat' : il met en exergue les questionnements identitaires qui traversent tout immigrant, et très intelligemment il a tourné le tout vers le langage. Car c'est la langue qui est la clé de l'intégration, et de la compréhension des subtilités culturelles.
Ce film ne sera pas un scandale en Israël. Il ne peut pas l'être. La critique d'Israël est légère, car la critique est bien plus centrée sur ces israéliens qui fuient pour aller se trouver ailleurs.
La critique de la France, elle, est dure. Alors que Yoav tente de se faire naturaliser français, il prend les cours d'éducation à la citoyenneté. Durant ce cours, il massacre la Marseillaise, apprend de façon superficielle quelles sont les valeurs de la France à travers un jeu de "vrai ou faux"... Et cette critique acerbe de la laïcité: "en France, personne ne te demande qu'elle est ta religion, car Dieu n'existe pas", affirme la professeure d'éducation civique à ses élèves. Nadav Lapid met la France face à ses paradoxes et ses hypocrisies.
Seule critique véritable que j'accorderais à ce film: c'est qu'il n'est pas accessible au grand public. C'est un film élitiste. Tant sur le fond que sur la forme, il faut des références pour le comprendre. Il faut connaître les codes des sociétés israélienne et française pour mieux saisir les subtilités et le cynisme de cette histoire. Pour preuve, je l'ai vu dès sa sortie sur grand écran à Tel Aviv: la salle était bondée, mais j'étais clairement la seule à rire et apprécier.
Pour les hébraïsants, je vous recommande la critique du brillant Avner Shavit (Walla) : https://e.walla.co.il/item/3220889
Sinon, oui, je m'improvise critique-cinéma, j'ai trouvé l'exercice sympa.