Léa Kant
mélancolie d'une citadine
Elles se rencontrent et s'ignorent, les Âmes esseulées de la cité.
Depuis mon balcon, j'observe. Il y a ce garçon, il vit seul et fume beaucoup. Le soir souvent, il fredonne un air, sa guitare à la main. Il n'a pas l'air malheureux, mais je ne l'imagine pas heureux non plus. Au dessus de lui, un autre garçon de son âge, il semble vivre dans la mélancolie, ses lumières sont toujours très tamisées, mais il est soigné à voir son petit balcon et l'entretien parfait de ses plantes. En face, un homme. Vieil homme, massacré par l'alcool. Visage boursouflé, il souffre, assis sur son fauteuil toute la journée, le ventre tombant sur ces cuisseaux rouges.

Est-ce la ville qui éteint ces âmes ? Et moi qui les regarde. Oui, car je ne suis au fond pas mieux qu'eux. Une autre âme esseulée et perdue dans ce bruit, ce mouvement perpétuel. La "grande ville", la "ville blanche", qu'ils l'appellent.

Beaucoup de Tel Aviviens s'entourent de chiens. A défaut de s'entourer d'une présence humaine, d'affection. Ils comblent la solitude avec un animal. Ce qui n'est pas forcément plus mal. Car au moins le chien est fidèle, gentil, et joueur.

C'est le grand paradoxe de ces villes. Elles nous vendent le rêve d'une vie prospère et pleine de fric. Et Tel Aviv tient ses promesses. Fric il y a, et foule également. C'est pourtant le sentiment de solitude qui règne. Trop de visages, un individualisme qui ronge, un culte du corps et de la beauté, et parfois, le mépris dans les regards. Pourquoi perdre notre temps à se respecter ou se connaître, à Tel Aviv, on a le choix du roi.
Tu gagnes ta vie, mais tu claques chaque centime dans un loyer disproportionné, une bière pour oublier ta journée, des sushis pour te nourrir. Parfois tu baises, et te drogues parce que c'est quand même bien sympa. A défaut de sortir de la ville et de respirer un peu d'air frais, tu t'accordes un voyage "interne" à base de quelques rails ou de cachets. Pris dans cette roue infernale, ce cycle qui jamais ne s'arrête, tu oublies parfois que tu es la victime. Et dès que tu en sors tu te rappelles, tu ouvres les yeux.