Léa Kant
in between
Dilemmes de journaliste.
C'est une position délicate, un entre-deux inconfortable.
Je ne suis jamais ni d'un côté, ni de l'autre. Je reste tiraillée.

Le fait de porter l'étiquette "press" m'érige une place toute particulière, au cœur de ce conflit destructeur.
Cette étiquette me permet de parler à tout le monde. J'en deviens presque intouchable. Presque. C'est pratique, je fais partie des rares qui peuvent récolter les témoignages des deux parties. Eux comme moi, sont coincés ici.
Israël versus les Palestiniens...et jamais trop loin, il y a les caméras.

Mais les deux parties profitent également de mon statut pour me dire ce qu'ils veulent, ils savent quel est mon travail. Comment tirer le vrai du faux ? En observant et me forgeant ma propre opinion.

J'ai compris que les forces de l'ordre n'aimaient pas les médias. Et comment les blâmer! Au premier abord: intransigeance, dédain et méfiance. Mais comme eux, je suis sur cette scène pour faire mon travail. Il y en a finalement certains avec qui je sympathise. Il y en a d'autres qui rongés par la peur du média, en deviennent méchants. Nous ne pouvons pas rester à l'ombre, nous devons partir. Il fait plus de 35°C. Pourquoi ? Parce qu'il l'a décidé, me répond-il.
Côté palestinien, ils sont nombreux à vouloir me raconter leur histoire. Ils savent très bien quel est mon travail, ils veulent faire connaître leur histoire au monde. Alors que tous les médias sont réunis à l'ombre sous ce parasol ou cet olivier, une horde de petits palestiniens âgés tout au plus de 8 ans nous amènent ravitaillement, eau fraîche, biscuits.
Quand l'un d'entre eux, une petite tête de mule, se met à crier "Allah Akbar, Al Aqsa nous te protégerons par le sang et par la force", de façon répétitive, sans s'arrêter. Petit homme, sais-tu la gravité de tes mots ? Sais-tu ce qu'est Al Aqsa ? Pourquoi répètes-tu à tue-tête ce que scandent tes anciens ?
Finalement, ne suis-je pas devenue un acteur à part entière de ce conflit ?

Je le constate, il y a parfois plus de caméras que de personnes réunies sur les scènes. Des journalistes qui sautent sur la moindre image de soldat arrêtant un palestinien. Un peu d'action: des grenades, des explosions... oh oui encore. Le journaliste en joui.
Je me rappelle que lorsque la police a ouvert l'accès à la porte des lions aux journalistes après plus de 5 heures de censure, les journalistes, caméramans ont couru comme des animaux pour s'installer devant la barricade et filmer. 10 minutes chrono, il faut déjà repartir.
Les journalistes sont devenus acteurs de ce conflit symptomatique, le conflit israélo-palestinien. La troisième force. C'est une guerre de l'image, une guerre de perception de réalité. Je m'efforce d'éviter de l'alimenter, mais ma seule présence sur ces lieux est déjà le signe d'une certaine partialité. Si sur les scènes d'émeutes il n'y avait pas de caméras, je suis quasiment sûre qu'elles seraient moins violentes et meurtrières. Mais quand le monde entier regarde, il faut tout donner. Je n'irai pas jusque dire que tout est mise en scène mais il y a bien dans tout cela un ordre dans le chaos.